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LES ALTÉRATIONS COGNITIVES DANS LA SCHIZOPHRÉNIE
La recherche d’altérations cognitives dans la schizophrénie a fait l’objet, depuis plus de 20 ans, d’un nombre croissant de travaux. Les altérations cognitives sont considérées actuellement comme faisant partie intégrale de la maladie. Elles sont observées chez environ 75% à 85% des sujets souffrant de schizophrénie (Palmer et al., 1997). Elles semblent constituer une caractéristique intrinsèque de la maladie, dans la mesure où elles ne peuvent être expliquées ni par le traitement médicamenteux, ni par les effets de l’institutionnalisation, ni par une réduction de motivation (Fioravanti et al., 2005).
Plusieurs méta-analyses (Fioravanti et al., 2005; Heinrichs et Zakzanis, 1998) ont montré que le profil cognitif dans la schizophrénie se caractérisait par des altérations touchant particulièrement l’attention, la mémoire et les fonctions exécutives. L’altération du fonctionnement cognitif observée dans la schizophrénie semble donc étendue, mais reste hétérogène d’un sujet à l’autre.
L’IMPACT DES ALTERATIONS COGNITIVES SUR LE FONCTIONNEMENT AU QUOTIDIEN
Plusieurs études portant sur des sujets souffrant de schizophrénie ont permis de confirmer l’existence d’un lien entre les altérations cognitives et les difficultés fonctionnelles que ces sujets peuvent rencontrer (Green, 1996 ; Green et al, 2000).
Bowie et al. (2008) ont mis en évidence l’impact d’une altération :
- des fonctions exécutives sur les relations interpersonnelles,
- de l’attention et la mémoire de travail sur les habiletés professionnelles,
- et surtout de la vitesse de traitement de l’information sur les relations interpersonnelles, les habiletés professionnelles et les activités du quotidien.
Les fonctions exécutives, l’attention, la mémoire de travail et surtout la vitesse de traitement de l’information constituent selon cet auteur des cibles de traitement spécifique grâce auxquelles on peut espérer une action directe sur le handicap fonctionnel.
D’autres travaux ont évalué l’impact des altérations cognitives sur l’insertion professionnelle, et ont pu montrer notamment qu’une meilleure capacité d’apprentissage pouvait prédire l’acquisition des habiletés professionnelles de façon durable ; elle serait impliquée pour 15% de la variance observée (Sergi, 2005). Prendre en considération et en charge des altérations cognitives telles que l’attention ou la mémoire ainsi que des processus plus spécifiques tels que la capacité d’apprentissage a montré un retentissement dans le domaine professionnel des patients souffrant de schizophrénie.
La qualité de vie se définit comme la satisfaction d’un sujet concernant sa propre vie. Certains auteurs ont tenté d’évaluer de façon plus globale le retentissement des altérations cognitives sur la qualité de vie des patients. Il a en particulier pu être montré que la mémoire de travail, la mémoire à court terme et les compétences motrices sont prédictives de la qualité de vie dans plusieurs domaines (Fujii, 2003).
Le pouvoir explicatif des performances cognitives sur les différents domaines que nous venons de voir reste cependant d’une taille modérée. Velligan et al (2000) ont ainsi montré que les variables cognitives n’expliquaient que 16 à 30% de la variance dans le statut fonctionnel.
D’autres facteurs, subjectifs, tels la métacognition, pourraient intervenir et médier le lien existant entre altérations cognitives et fonctionnement au quotidien. L’évaluation et la prise en charge des altérations métacognitives apparaissent ainsi fondamentale dans un processus de réhabilitation psychosociale.
LA REMÉDIATION COGNITIVE
La remédiation cognitive est une méthode thérapeutique non médicamenteuse ayant pour but de limiter l’impact des altérations cognitives. Elle peut être définie comme :
« Une intervention thérapeutique impliquant un entraînement, destinée à améliorer les processus cognitifs (attention, mémoire, fonctions exécutives, cognition sociale et métacognition), de telle manière que les bénéfices se maintiennent dans la durée et se généralisent ». 2nd Schizophrenia International Research Society Conference, Florence, Avril 2010
Les programmes de remédiation cognitive doivent être mis en œuvre dans le cadre d’un projet de soin individualisé associant le plus souvent d’autres outils de réhabilitation permettant de favoriser la réinsertion sociale et/ou professionnelle du patient.
L’objectif de la remédiation cognitive n’est pas l’amélioration des performances cognitives, mais la réussite de projets concrets dans le domaine social (loisir, logement, etc.) ou professionnel (travail protégé ou dans le milieu ordinaire) à laquelle cette amélioration peut contribuer.
Les différents programmes disponibles peuvent porter sur les cognitions dites « froides » (attention, mémoire, fonctions exécutives…) ou « chaudes » (cognition sociale, métacognition).
LES PROGRAMMES DE REMEDIATION COGNITIVE PROPOSES PAR LE C2RP
Le C2RP dispose de plusieurs programmes de remédiation cognitive, proposés en fonction des besoins repérés par le patient et par l’équipe durant le bilan de réhabilitation psychosociale:
Les programmes individuels:
– RECOS: Ce programme permet l’acquisition de nouvelles compétences cognitives, dans les domaines des cognitions froides (par exemple la mémoire, l’attention et les fonctions exécutives), mais aussi des compétences métacognitives permettant de mieux s’adapter aux multiples situations de la vie quotidienne. Le programme thérapeutique RECOS est un programme court qui s’étend sur une période d’environ 3-4 mois, mais d’intensité importante, avec 2 séances hebdomadaires en présence du thérapeute, ainsi qu’une tâche à domicile. Voir le site internet de RECOS
– RC2S (Remédiation Cognitive de la Cognition Sociale). Ce programme utilise comme support un logiciel qui cible les composantes de la cognition sociale et utilise les techniques de simulation afin de proposer aux patients un environnement écologique leur permettant de se confronter, par l’intermédiaire d’un avatar, à des situations de vie quotidienne dans lesquelles leurs difficultés à comprendre les intentions et les états d’esprit des autres individus sont les plus invalidantes. Le programme thérapeutique RC2S est un programme court, qui s’étend sur une période d’environ 3-4 mois, mais d’intensité importante, avec 2 séances hebdomadaires en présence du thérapeute, ainsi qu’une tâche à domicile.
– GAïA vise les troubles de la cognition sociale et plus particulièrement le déficit de reconnaissance des émotions faciales. Ce programme est réalisé en individuel, sur 10 semaines à raison de 2 séances d’une heure et une tâche à domicile par semaine. Le programme se déroule en 2 étapes : en premier lieu, des exercices photos qui permettent à la personne de repérer les différentes émotions de base, puis des exercices informatisés par l’intermédiaire de vidéos qui leur permettent de se projeter en situation d’interaction sociale.
Les programmes groupaux:
– NEAR (Neuropsychological Educational Approach to Remediation; crée par Alice Medalia en 2002): il s’agit d’une méthode améliorant les fonctions cognitives (mémoire, attention, planification) dispensée en groupe (jusqu’à 8 participants), centrée sur la motivation et alliant exercices cognitifs et groupes de thérapies comportementales. Le programme est dispensé sur quatre mois, avec des séances d’une heure à une heure trente bihebdomadaire permet au groupe de s’entraîner ensemble à améliorer leurs fonctionnement cognitif à l’aide de méthodes inspirées de techniques de type Montessori. Le programme NEAR est informatisé, et utilise des exercices issus de la base PRESCO, similaires à ceux intégrés dans le programme RECOS, avec des groupes de 6 à 8 patients. Il est animé par 2 thérapeutes.
– TomRemed : Le programme ToMRemed (créé par l’équipe de Versailles) cible les difficultés en cognition sociale en lien avec un déficit en théorie de l’esprit (difficultés à attribuer des intentions à autrui). Le matériel est constitué de 10 courts extraits de films, mettant en scène 2 ou 3 interlocuteurs dans des situations de la vie quotidienne fréquentes et riches en échanges intentionnels. Chaque extrait est assorti de questions sur les intentions des personnes , avec des hypothèses de réponses. Le programme comporte 10 séances d’une durée d’environ 1h30, composées chacune de deux temps bien distincts : des expériences de vie rapportées (travail sur une situation de la vie quotidienne dans laquelle un patient s’est senti en difficulté de communication et échanges au sein du groupe) et un extrait de film qui va servir de base à d’autres échanges. Le programme ToMRemed est généralement proposé à des groupes de 6 patients, et animé par deux thérapeutes.
– SCIT: Le programme SCIT (Social Cognition and Interaction Training) est un programme global dont l’objectif est de travailler les troubles de la cognition sociale et les biais de raisonnement. Il se pratique en groupe, sur une durée de plusieurs mois. Il comporte 20 à 24 séances d’une durée d’environ 1h30, dispensées à un rythme hebdomadaire et animées par deux thérapeutes.
Bowie, C. R., Leung, W. W., Reichenberg, A., McClure, M. M., Patterson, T. L., Heaton, R. K., & Harvey, P. D. (2008). Predicting schizophrenia patients' real-world behavior with specific neuropsychological and functional capacity measures. Biological Psychiatry, 63, 505-511
Fioravanti, M., Carlone, O., Vitale, B., Cinti, M. E., & Clare, L. (2005). A meta-analysis of cognitive deficits in adults with a diagnosis of schizophrenia. Neuropsychological Review, 15, 73-95.
Franck, N. (2014). Remédiation cognitive dans la schizophrénie [Article 37-820-A-55]. EMC - Psychiatrie, 11, 1-10
Fujii, D. E., & Wylie, A. M. (2003). Neurocognition and community outcome in schizophrenia: longterm predictive validity. . Schizophrenia Research, 59, 219-223.
Green, M. F. (1996). What are the functional consequences of neurocognitive deficits in schizophrenia? American Journal of Psychiatry, 153, 321-330.
Green, M. F., Kern, R. S., Braff, D. L., & Mintz, J. (2000). Neurocognitive deficits and functional outcome in schizophrenia: are we measuring the "right stuff"? Schizophrenia Bulletin, 26, 119-136.
Heinrichs, R. W., & Zakzanis, K. K. (1998). Neurocognitive Deficit in Schizophrenia: A Qualitative Review of the Evidence. Neuropsychology, 12, 426-445.
Palmer, B. W., Heaton, R. K., Paulsen, J. S., Kuck, J., Braff, D., Harris, M. J., . . . Jeste, D. V. (1997). Is it possible to be schizophrenic yet neuropsychologically normal? Neuropsychology, 11, 437-446.
Prouteau, A., & Yvon, F. (2017). Facteurs subjectifs et remédiation cognitive dans la schizophrénie. In N. Franck (Ed.), Remédiation cognitive. Issy Les Moulineaux: Elsevier Masson.
Sergi, M. J., Rassovsky, Y., Nuechterlein, K. H., & Green, M. F. (2006). Social perception as a mediator of the influence of early visual processing on functional status in schizophrenia. American Journal of Psychiatry, 163, 448-454.
Velligan, D. I., Bow-Thomas, C. C., Mahurin, R. K., Miller, A. L., & Halgunseth, L. C. (2000). Do specific neurocognitive deficits predict specific domains of community function in schizophrenia? Journal of Nervous and Mental Disorder, 188, 518-524.